vendredi 29 octobre 2010

Gérald Dahan viré de France Inter

Gérald Dahan viré pour une chronique sur Michèle Alliot-Marie.

Lui qui était censé être l'ami de Na Sajesté, on dirait que c'est raté...

Il faudrait leur dire, aux humoristes, qu'ils n'ont pas le droit de faire des chroniques sur des gens au pouvoir, comme ça ce serait réglé.

C'est vrai c'est dingue, ils se croient où là ? On est en république, et en république il y a des règles, que tout le monde doit respecter. Ne pas faire de blagounettes sur les gens au pouvoir, ça fait partie de ces règles. C'est comme voter pour le bon candidat, c'est pareil. C'est quand même simple !

Bientôt une loi prévue sur le sujet. Pensée à 11h, votée à l'assemblée pendant la pause déjeuner, validée par le sénat avant le début de la sieste. Elle comportera un dispositif de pédagogie obligatoire, bien sûr.

Au Lucanistan les humoristes disent ce qu'ils veulent. Mais il y a peu de gens pour les écouter.

mercredi 31 mars 2010

Une gauche pragmatique

Vladimir Å nous envoie des nouvelles de son pays, la France, en souhaitant que se répande là-bas ce que nous connaissons depuis longtemps au Lucanistan : une gauche pragmatique.



« Je pense au film Les invasions barbares. A l'époque où je l'avais vu, et surtout encore quelques années auparavant, le personnage du père était un bon représentant de ce qu'on pouvait espérer de mieux dans le monde où je me trouvais. Pas tant être prof qu'être un intellectuel critique. Le fils me semblait un barbare à proprement parler.
Les choses ont quelque peu changé. Je me sens plutôt un mélange de ces deux personnages. Je préfère avoir une profession intellectuelle plutôt qu'un sombre travail rentable assurant paix et prospérité au foyer marie joseph, bien que gagner de l'argent ne soit pas une mince question. En revanche, je me retrouve dans le pragmatisme du fils plutôt que dans l'idéologisme (plutôt bobo, ceci dit) du père et de ses amis.
Etre pragmatique c'est considérer les choses comme des problèmes et apporter des solutions. Les idéologistes considèrent la notion de problème sous un très mauvais œil : pour eux, un problème est quelque chose dont il faut se débarrasser. Alors, un problème ça se met de côté, se refoule, s'éradique ou se cache. C'est toujours quelque chose qui vient déranger l'ordre des choses, qu'on souhaiterait stable (même la connotation psychanalytique tient à cela). Donc on voudrait un monde sans problème, idyllique : le monde promis par l'idéologie, justement. Mais aussi, dans un environnement qu'on n'aime pas, avec lequel on est en désaccord : être soi-même un problème, « nous sommes tous des juifs-allemands » dixit mai 68 (évidemment, la même en 2001 avec « américains » n'a plus du tout le même sens, ce serait presque le contraire : nous sommes tous de bons allemands sauvagement attaqués par la résistance, laquelle aussi en l'occurrence a viré de bord).
Pragmatiquement, il n'y a que des problèmes et un problème n'est plus un grumeau dans la soupe, un évènement. Il y en a de toutes les tailles et de toutes les complexités, et ce ne sont pas des nœuds qui permettent de nouer un monde déserté par les grands récits ou de le voir rempli de nœuds. Le problème répond a des questions simples comme : est-ce que ça fonctionne, les gens sont-ils contents, l'entreprise gagne-t-elle de l'argent ?... Et des questions plus concrètes comme comment exposer beaucoup d'œuvres dans un tout petit espace ? Deleuze était un philosophe très pragmatique ; il demandait par exemple : comment se constituer un corps dans organes ? Et la sociologie fait partie des sciences pragmatiques, comme elle pose la question « comment… » plutôt que la question « pourquoi… ».
Résoudre un problème, c'est une histoire d'agencement. Il faut déplacer les choses, en introduire de nouvelles : composer un agencement. La sociologie étudie les agencements, par exemple. C'est aussi là qu'il faut marquer la défaite actuelle de la gauche et la démission des intellectuels qui ne se rebellent que savamment et cordialement dans des colloques entre initiés : il ne s'agit plus d'analyser, sur fond de monde idéal prédéfini, où, qui ou quoi, sont les problèmes, et de les traiter. La gauche a d'ailleurs commencé à plonger en arrêtant de stigmatiser des problèmes (d'un coup il ne fallait plus en vouloir au libéralisme, aux actionnaires, etc. etc.)…  Il s'agit d'analyser des agencements ; et cela ne peut se faire qu'à partir d'un problème ; les sociologues tendent malheureusement à ne pas oser poser des problèmes d'ordre politique au sens premier, mais, lorsqu'ils n'établissent pas des problématiques directement liées à la connaissance, ils n'hésitent pas à analyser des agencements à l'aune d'une idéologie implicite, et quand il n'y a ni l'un ni l'autre on tombe dans un descriptionnisme qui fait parfaitement écho à l'angoisse liée à la disparition des grands récits surtout lorsqu'il n'en profite pas pour faire valoir les petits récits qui fonctionnent dans les agencements décrits… Il s'agit, surtout, de créer de nouveaux agencements, ce que même des intellectuels peuvent faire, ne serait-ce que sur le plan des idées, de la pensée, ce serait déjà un début.
Pragmatiquement, il y a un nombre infini d'autres mondes possibles, et en même temps il n'y a que celui-là. La devise altermondialiste « un autre monde est possible », repère (certes un peu éteint) de la gauche depuis quinze ans, est typiquement une idée idéologiste : elle se tient dans les idées et pas dans le monde réel, et elle croit encore à l'unité d'un monde qu'on pourrait transformer comme ça, d'un coup de baguette magique ou d'une révolution. Il s'agit bien plutôt d'actualiser une multitude d'autres mondes.

Vladimir Å. »

Le Lucanistan n'est pas un monde parfait, mais comme la gauche y construit un peu partout un monde vivable et agréable sans pour autant s'ennuyer, cela fait longtemps que la droite tente vainement de s'opposer. La droite, en vérité, fait comme la gauche : elle construit ses agencements, mais de droite ; seulement, ils concernent moins de monde...


lundi 28 septembre 2009

"J'ai changé, je change et je changerai", la chanson du GPPT français

Francis Cabrel a accepté de retoucher, un peu comme on le fait d'une image avec photoshop, c'est rien du tout, une de ses chansons les plus connues pour l'offrir au GPPT (le Grand-Président-Pour-Tous) de son pays :


"J'ai changé, je change et je changerai"

Mon enfance nue sous les pavés
Le vent dans mes cheveux défaits
Comme un printemps sur mon trajet
Un diamant dans un beau coffret
Seuls les projecteurs pourraient
Défaire mon repère secret
Où tes doigts pris sur mon jouet
J'ai changé, je change et je changerai
Et quoique je fasse
Mon pouvoir est partout où je regarde
Dans les moindres recoins de l'espace
Dans le moindre rêve où je m'attarde
Du pouvoir comme s'il en pleuvait
Nu sous les pavés

Le ciel prétend qu'il me connaît
Il est si beau c'est sûrement vrai
Lui qui ne s'approche jamais
Il est venu chez moi dîner
Le monde a tellement de regrets
Tellement de choses qu'on promet
Une seule pour laquelle je suis fait
J'ai changé, je change et je changerai
Et quoique je fasse
Mon pouvoir est partout où je regarde
Dans les moindres recoins de l'espace
Dans le moindre rêve où je m'attarde
Du pouvoir comme s'il en pleuvait
Nu sous les pavés

On s'envolera
Les yeux dans les mêmes télés
Pour cette vie et celle d'après
Tu seras mon unique projet
Vous vous en irez prier mes portraits
A tous les plafonds de tous les palais
Sur tous les murs que vous trouverez
Et juste en dessous, vous lirez
Que seuls les projecteurs pourraient...
Et tes doigts pris sur mon jouet
J'ai changé, je change et je changerai

vendredi 18 septembre 2009

« ...ou bien évidemment clochard, ce qui est la moindre des choses... » (une lettre de Vladimir Å.)

Du sombre pays de France, un habitant nous envoie des nouvelles :


« Dans la ville telle qu’elle existe aujourd'hui, devrais-je dire dans le monde, je pense que je peux devenir fou et dangereux. Je vois bien des boîtes crâniennes explosées suite à une ultra-violence. Je pourrais devenir tueur, terroriste, prostitué, ou bien évidemment clochard, ce qui est la moindre des choses.

La violence est simplement l’expression du besoin et de la frustration, autrement d’une volonté barrée. Quand le manque d’intégration ne conduit pas, comme il le devrait, à l’exclusion ; quand le besoin non satisfait ne mène pas consécutivement à une faiblesse, puis à un mode d’être, adaptés. Quand nul dérivatif n’est trouvé, ou accepté, dans les cas où, comme l’urgence presse, la patience, l’attente et le retrait ne sont pas possibles.

Il ne s’agit même pas de besoins très recherchés, mais de simplement manger, habiter, se déplacer. Et s’inscrire dans un monde partagé avec les autres humains suivant nos compétences ; ainsi que nos désirs et ce qui nous attire. Autrement dit, des besoins primaires.

Le monde libéral dans lequel nous vivons amène à gommer certaines frontières, voire toutes les frontières. Ceci au profit d’un seul corps, d’une seule identité, insérée dans l’image. Et même sans cela, nos besoins les plus primaires et nos besoins les plus artificieux comme les plus métaphysiques sont indissolublement mêlés.

La richesse est au fondement de nos vies. Pourtant, nous demeurons très pauvres. Entre deux infinis nulle stabilité. Et sans cesse les portes comme les visages se ferment.

Sans même parler du théâtre libéral, qui ne veut jamais prendre en compte l’argent et le fait passer pour une donnée naturelle, ses conséquences surtout. C’est un théâtre dans lequel il faut avoir payé sa place, qui est justement celle du prix que l’on a payé. Du camp de concentration qui borne toute société libérale, celle-ci apparaît comme une eurocratie.

Je ne comprends pas que la prodigalité ne soit pas au fondement d’une société riche. Par exemple : chaque regard sur autrui n’a comme but que de le limiter, jusqu’à la caricature, négative si possible. L’accueil, la valorisation, l’épanouissement, la prodigalité, tout cela disparaît corps et bien derrière des masques cyniques et prétentieux qui pensent bien savoir, qui pensent ainsi être observés et hautement jugés, morgue protestante dopée au fun et à la haine humaine où chaque petite position de pouvoir , et même de simple visibilité, est celle de gardien du royaume de Dieu sur Terre.

Aucune preuve ne peut être apportée contre cette société parce que c’est son théâtre qu’il faudrait mettre en cause. Et c’est entrer en lui que de devenir clochard, prostitué, tueur ou terroriste. Chaque culture localisée dans le temps et dans l’espace, chaque société, prescrit les bonnes manières d’être fou, et ces formes en font partie. La folie marque une défaite intégrée, non une étrangéité.

L’humoriste dresse un théâtre dans le théâtre, rien qu’un miroir. Il s’estime chanceux d’être intégré lui qui est si près des bords. Ce aussi comme les artistes qui insolvables payaient leur place avec leur œuvre : sur la scène ceux qui ne peuvent pas payer ! (on aime à raconter aussi que les clients d’un restaurant qui ne peuvent pas payer sont envoyés en plonge).

J’ai mangé pendant ce temps deux filets de colin cuits avec une tomate et un oignon, un jus de citron, du curry vert et de l’eau, puis du lait de coco, sur du riz blanc. Deux assiettes et une bière. La satisfaction des besoins primaires rend possible une distance.

Je me borne à jouer le jeu, je ne vois pas comment faire autrement. Il est étrange que le bouquin de Selby Jr s’appelle Waintig period ; cet auteur est trop mental, ses personnages sont des images, aucun sang ne circule dans leurs veines. Quand le jeu ne permet plus à ses joueurs de jouer il attend d’eux qu’ils quittent la table, et parfois ils la renversent, ce qui fait encore partie du jeu. Certains fuient et « emmènent un coin de la nappe ».

Dans la ville telle qu’elle existe aujourd'hui, devrais-je dire dans le monde, je pense que je peux devenir fou et dangereux. Je vois bien des boîtes crâniennes explosées suite à une ultra-violence. Je pourrais devenir tueur, terroriste, prostitué, ou bien évidemment clochard, ce qui est la moindre des choses. Je pourrais aussi ne rien devenir du tout, juste tracer un sillon qui parte quelque part, plus loin. Dans le théâtre libéral il faut payer sa place ; ou traverser le spectacle. »

Vladimir Å.


Soyons heureux qu’il n’en aille pas ainsi chez nous, puisqu’au Lucanistan les choses sont trèèès différentes.

Déjà, tout le monde est intégré. Il n’y a pas, par exemple, une partie de la population qui, sous prétexte de stigmates particuliers, sont consacrées, ainsi que les sorciers chez les primitifs, à, comme le disait Simmel, la prostitution. D’ailleurs il n’y a pas de Simmel chez nous, pas besoin de sociologues, ces êtres nécessaires dans ces mondes lointains mais qui ne servent pourtant à rien, sans parler du sous-emploi dont ils font l’objet, sous prétexte, parfois par eux-mêmes avancé, que le conflit est normal dans une société.

Nous vivons d’amour et d’eau fraîche : nous ne rêvons pas de quelque lune lointaine puisque les regards de ceux qui nous entourent, connus ou inconnus, tracent une circularité où l’amour est palpable et l’eau fraîche coule des bouches.

Quant au « théâtre » dont ce lointain étranger nous fait part, nous n’en avons pas d’exemple. Cette idée nous amuse, exactement comme des enfants pourraient regarder des rats en cage, la cruauté et la méchanceté en moins : cela demeure un phénomène curieux. Nous ne nous arrêtons pas à cela, cette sorte de critère dont il est question et qui n’est pas l’apparence dont on nous a quelques fois parlé, ni exactement l’argent, mais une sorte d’image.

Il semble tout particulièrement troublant que les uns et les autres semblent pour ainsi dire croyants dans l’image, si on peut dire cela ainsi, des autres (que les uns voient ? que les autres dégagent ? nous ne comprenons pas bien ces mœurs étranges). Plus loin que cela, derrière cette croyance, il s’exprime un manque de confiance des uns envers les autres vraiment étrange, comme s’ils ne se connaissaient pas, comme s’ils partaient du principe qu’il fallait douter d’autrui. Quelque chose comme cela.

Peut-être est-ce ce qui transparaît dans le mot de « société » que l’auteur de la lettre emploie et qui ne figure pas dans notre vocabulaire ?

mardi 15 septembre 2009

Loi Evin : image, publicité et histoire en France (une lettre de Vladimir Å.)

Un français nous écrit une lettre de son lointain pays. Nous la reproduisons intégralement ici :


« La loi Evin empêche la publicité pour les alcools et tabacs. Seulement, elle amène sans la moindre opposition, à des pratiques tout à fait soviétiques de trucage de photos : disparue la pipe de Mr Hulot ou les cigarettes de Sartre ou de Malraux, jusque, donc, sur des affiches concernant des films, des expositions, des évènements de bibliothèque, etc.


Dans la société soviétique, que nos libéraux démocrates conspuent dès qu’ils le peuvent, toute image publique était propagande. Dans la nôtre, il faut croire que toute image publique est publicité (et toute publicité doit donc être encadrée par un dispositif d’Etat rappelant bien la propagande).


Ce statut de l’image publique peut paraître évident, et ne choquera personne sachant que nous vivons dans une société bourgeoise (lire Habermas). Autrement dit, comme toute autruche bienpensante, nous faisons le choix de regarder les choses de l’intérieur et non depuis les lignes de partage, qui le sont aussi de dialogue, de stimulations diverses et d’altérité, où se donnent à lire les controverses possibles (qu’elles soient actualisées ou non).


Or sur ces lignes-là ce statut ne va tout à fait de soi. Mais l’observer, pour ces autruches qui s’enterrent mortes de peur (de peur qu’on les sorte et montre le mouvement les ayant amenées à occuper leur position), c’est déjà être un dangereux anarchistes, ce que je ne suis pas ; pour qui refuse de voir, un minimum d’ouverture de l’œil et de l’esprit, pour ne pas dire plus, est déjà un crime en soi (parce que voyez-vous, dénoncer ceux qui savent mais se taisent et s’enferment, c’est, symboliquement, les tuer, et, dans des cas où la vie d’humains est engagée, il vaut toujours mieux, selon les autruches, sacrifier quelques vies d’humains qui se tiennent à l’extérieur de leur cercle, que la vie symbolique, pour ainsi dire, de plus d’humains encore parfois à l’intérieur de leur cercle).


On observe quelques drôles de choses, sur ces frontières de l’image publique en société bourgeoise. En premier lieu, la conscience historique disparaît tout à fait au profit de l’actualisation de l’image, la loi Evin étant rétroactive. Autrement dit, dans une logocratie transformée en iconocratie, retoucher les images s’apparente à une réécriture de l’histoire ; c’est ce qui se fait dans le marketing et la communication pour l’histoire au présent (il faut que les gens autour de Sarkozy ne soient pas plus grands que lui), et de même au futur (les proches de Chirac auraient demandé à ce que la photo prévue pour la couverture de ses mémoires soit remplacée, car le montrer en train de fumer pouvait nuire à sa postérité).


La question se déplace donc ici sur les statuts différents de la production et de la retouche : on se doute qu’un top model a plus intérêt à paraître fraîche et pimpante dans un magazine que raide défoncée par quantité de drogues et un gang de yétis, ce n’est pas vraiment criminel puisque, au final, on est là dans un domaine où la théorie de la copie, en iconologie, trouve de sérieuses limites ; cependant c’est bien plus grave de retoucher la photo pour rendre la top jeune et jolie.


Photoshop termine de mettre à sac une proposition telle que ‘‘une image a été prise ou n’a pas été’’, mais on peut toujours avancer celle-ci : une image a été publiée ou n’a pas été (jusqu’à s’entredéchirer ensuite sur ce qui qualifie une publication…). Ce qui ne vas pas du tout avec cette loi Evin et cette société (pour le coup : pourtant) publicitaire, et alors même que ce sont les mêmes qui nous bassinent avec les droits des industriels du son (pardon, des artistes musiciens bien sûr) sur leurs productions, c’est qu’il n’est pas du tout pris en compte que les images ont déjà été publiées. Le détournement situationniste appliqué depuis le lieu de pouvoir.


Ce qui craint peut-être quelque peu, au sujet de cette iconocratie, c’est qu’elle continue de faire comme si elle restait une logocratie, du coup on est en plein de sophismes. Pour le pouvoir, ce n’est par exemple pas que ce que les images montrent (des mots, il est vrai) d’un ministre d’Etat, mais les mots qu’il dira au sujet de ces images ; parce que, en plus, ce que dit de un pouvoir de lui-même est, bien entendu, plus légitime que tout ce que d’autres peuvent en dire ou en montrer.


Une autre limite, plus profonde, serait l’assimilation de toute image publique à une publicité, et par là il s’agit de la caution apportée au système qui la sous-tend. L’acte publicitaire repose sur le schéma suivant, qui englobe publicité commerciale comme affichage public, etc. : une entreprise présente une image à des gens en leur disant « regardez l’image que je vous montre ». Or, il n’y a rien à voir, puisque l’image publicitaire n’est pas une image à regarder, mais une image qui nous regarde, et l’on nous dit alors : « laissez-vous regarder par les images que nous disposons sur votre parcours » (un peu comme des miroirs, mais pas seulement ; le bon citadin à la page s’en sert comme miroirs et croit être libre à déambuler tout joyeux dans les rues commerçantes des sachets de fringues à la main quand il répond au dispositif publicitaire ; le miroir évoque déjà que nous sachions répondre à l’image, pour nous reconnaître en elle ou non, pour jouer le jeu du dispositif ou non : avant d’être un miroir, ces images sont faites pour nous hypnotiser).


Autrement dit, il y a là la possibilité d’assimiler toute image publique, jusque par exemple dans des livres scolaires, à des publicités, à des images qui nous regardent et dans lesquelles il n’y a rien à voir. Et déjà c’est ainsi que nous sommes éduqués dans cette société à ‘‘regarder’’ les images : nous nous laissons regarder par elles.


Bref, on voit par ces deux petits exemples que supprimer une cigarette sur, par exemple, une affiche d’exposition datant d’une époque où tous les fumeurs fumaient sans se cacher, a des implications bien plus étendues qu’une simple disposition morale d’une société publicitaire, moralisatrice et sécuritaire qui par là se dévoile avec, décidemment, de moins en moins de pudeur.

Vladimir Å. »


Heureusement que le Lucanistan n’est pas comme la France. Ici les images publiques sont avant tout informationnelles et recherchent l’intelligence des passants à les regarder, à les lire, à les percer. Et bien sûr les images historiques ne subissent pas le traitement que les français, ces barbares, leur infligent : nous attribuons à chacun ce qui est à chacun, et si des images ne nous conviennent pas, nous produisons des argumentations que nous enseignons, parfois, lorsqu’il y a un danger, à nos enfants ; jamais il ne nous viendrait à l’esprit, en tous les cas, de nous attribuer le prestige d’une image en la déformant suivant nos propres considérations, ou bien nous la prenons telle quelle, ou bien nous en produisons d’autres ; et plus encore, si nous produisons des règles sur les images publiques, ce qu’il nous arrive de faire, elles ne sont pas rétroactives.

lundi 14 septembre 2009

La dialectique. Au sujet d'un vieux conte lucaniste

Je n'ai jamais compris ce que signifiait le mot "dialectique".

J'emploie le mot "schizo", sans trop connaître, pour dire trois choses.
Tantôt pour évoquer deux investissements sociaux, deux rôles, qui n'ont rien à voir l'un avec l'autre, qui sont même incompossibles.
Tantôt pour qualifier une ligne, par exemple un récit, qui traverse un ensemble constitué donné en s'accrochant à ses éléments qu'elle raccorde suivant sa propre perspective et qui, par sa vitesse et sa puissance d'assimilation, finit par être plus légitime que cet ensemble sur ses propres terres.
Tantôt encore pour nommer ce processus par lequel un être pour ainsi dire vide se raccroche tel un parasite à un autre être pour ainsi dire plein, et tire de lui la subsistance qu'il intègrera dans ses petits circuits pour les réchauffer et raviver leur mobilité. Cet être pour ainsi dire vide finit par avoir sa vie et ses productions propres, comme si l'autre être n'avait pas existé, mais assez cependant pour que l'individualité profonde de celui-là ne repose pas dans son essence mais dans son style.
Celui qui joue des rôles incompossibles, la ligne qui traverse un ensemble "en emmenant un coin de la nappe" (Deleuze) et cet être pour ainsi dire vide, sont, dans l'usage que je fais du mot, des "schizos".

Et... je crois bien que le dernier emploi qualifie exactement la dialectique, qui en dehors de cet exemple appliqué à l'enfant, à l'adolescent, au disciple, n'éveille en moi que des images d'une machinerie des temps modernes aussi sombre que bordélique, avec des fluides graisseux noirâtes coulant entre les pièces, des fumées de vapeur au fond, de vagues éclairages de lampes dans un angle tel qu'elles semblent placées en haut de miradors, le tout comme si nous étions au sein d'un ventre gargouillant, pour l'aspect organique qui nimbe tout l'espace... bref, une sorte de pataugeoire de bureaucratie soviétique prétentieuse et décadente, s'exprimant prioritairement, pour qui en est le petit maître, par des désorganisations intestinales.

Cette part obscure, pour moi, du mot, je persiste à ne la pas comprendre, "dialectique" étant du reste un terme que je n'emploie jamais. J'en garde la clarté de l'application que j'ai dite.
Ce n'est là qu'une introduction à un vieux conte lucaniste que les grands-mères du web racontent encore sur les forums à leurs petits-enfants virtuels.


Il y a fort longtemps, un homme aussi petit que méchant, malin et finalement puissant, avait mis le Lucanistan sous sa coupe.

Depuis plus longtemps encore, le pays était partagé en deux factions, qui se séparaient suivant une différence qui avait évolué. Au début, l'une existait parce que Dieu l'avait voulu et la protégeait, et était dirigée par le Roi, qui avait tout pouvoir sur l'autre faction, dont les membres mourraient sans laisser de trace. Puis la seconde faction tua le Roi et la première faction fût celle qui avait tout l'argent, et qui grâce à lui possédait les membres de la seconde faction, qui réussit toutefois à imposer des règles au sujet de l'argent. Et ainsi de suite.

Toujours la première faction dominait la seconde, et toujours la seconde parvenait à remettre en cause la première, mais sans arriver à faire disparaître la différence qui les opposait, et donc ce partage qui coupait le pays en deux jusque, parfois, dans de sanglantes guerres.

Le petit homme appartenait à la première faction, qu'il renouvela et dont il rassembla toutes les forces, et la fit passer pour celle des deux factions qui dominait naturellement, non seulement l'autre faction, mais le monde lui-même. Beaucoup le crurent, même des personnes appartenant à la seconde faction, mais à qui il plaisait de se reconnaître dans un personnage qui se faisait passer pour un héros.

C'était une époque où la différence entre les deux factions était indécise, très floue, certains disaient même qu'il n'y avait plus de différence entre les deux. Ceux de la seconde faction qui passaient dans la première se disaient : "je ne sais pas où est la différence, mais je me vais me mettre du côté de la première faction, au moins comme ça je ferai partie des puissants, et peut-être que la différence actuelle, si elle existe, me fait être du côté de la seconde faction, mais peut-être aussi que, quand la guerre commencera, elle aura bougé et m'incluera dans la première faction."

Ceux qui avaient peur rejoignaient la première faction, alors le petit homme leur fit peur. Ceux qui étaient riches rejoignaient la première faction, alors le petit homme flatta les riches. Et ainsi de suite pour toute la population lucaniste, à commencer par ceux qui pouvaient, par leur position, leur richesse, leurs activités, leurs savoirs, avoir un minimum de pouvoir. L'idée du petit homme était de réunir tout le monde de son côté, pour qu'il n'y ait dans la seconde faction que quelques personnes qui, incapables de se défendre, accepteraient docilement de se faire dominer, et ne pourraient surtout pas renverser l'autre faction comme cela s'est toujours fait. Et même, les très rares matins où il était d'une si bonne humeur qu'il aimait les gens et chantonnait en se rasant, le petit homme se disait devant sa glace qu'il pourrait inclure toute la population lucaniste dans sa faction, de telle sorte qu'il n'y ait plus de différence entre les deux factions et que le Lucanistan vive dans un bonheur éternel sous son règne éternel.

La seconde faction avait presque disparu. Ceux qui pouvaient se reconnaître en elle était éparpillés, ils ne parvenaient pas à s'entendre, et ses dirigeants pensaient et se comporter comme s'il dirigeaient le pays au lieu de se placer, comme les dirigeants de cette faction l'avaient toujours fait, dans la position du dominé pour mieux renverser le petit homme et sa faction.

Ces dirigeants essayaient de reconstruire leur faction, mais en ne s'appuyant sur rien, ce qui ne mena nulle part. Ils détestaient le petit homme, mais le détestaient tellement qu'ils ne voulaient même pas reconnaître sa domination présente, ils se disaient : "ou bien je le déteste et je ne veux rien avoir affaire avec lui et je dois construire ma faction en me moquant de ce que fait le petit homme, ou bien je reconnais sa domination et alors cela veut dire que je dois rejoindre sa faction". Certains de ces dirigeants optaient pour la première solution, d'autres pour la seconde.

Il passa beaucoup de temps, malheureusement, avant que certains dirigeants de la seconde faction ne pensent autrement. Entre temps le pays avait été appauvri, beaucoup de lucanistes étaient obéissants et se comportaient de telle façon qu'il auraient pu être flattés d'une petite tape derrière l'oreille par le petit homme, leur maître, et beaucoup de lucanistes avaient peur et restaient chez eux, d'autres sortaient dans la rue mais uniquement pour faire leurs courses et ils prenaient bien soin de mettre de la musique dans leurs oreilles et de la haine dans leurs yeux, d'autres encore déprimaient et entraient dans des sectes, et ainsi de suite. Seule une infime partie de la population profitait réellement du règne du petit homme, pour le reste la haine, la solitude, l'envie et l'égoïsme étaient des valeurs normales même si elles ne rendaient personne heureux.

Les dirigeants de la seconde faction commençaient enfin à penser autrement, et l'un d'eux leur dit alors : "chers camarades, cela ne peut plus durer. Nous cherchons l'idée, la raison, l'image, qui fera de notre faction une grande faction capable de régner sur le Lucanistan et de ramener la joie de tous, la souveraineté de chacun et la solidarité entre les lucanistes. Cela, le petit homme ne l'apporte pas du tout, bien au contraire. Et cette idée, cette raison, cette image, nous ne la trouverons pas, parce qu'elle n'a jamais existé : nous sommes avant tout une force, non, comme un Roi, institué par une idée, une raison ou une image. Laissons le petit homme se prendre pour un Roi, si cela lui chante. Mais nous, nous devons retrouver notre force. Et nous pouvons, nous devons la retrouver, en nous opposant à ce petit homme. C'est par l'opposition que nous nous constuirons. Chaque fois qu'il donnera une idée, nous en avancerons une autre en opposition à lui, chaque fois qu'il décidera une loi nous en proposerons une autre, et ainsi de suite. C'est vrai que lui et sa faction sont aujourd'hui puissants, mais demain, par notre opposition, en y mettant toutes nos forces, toute notre intelligence, tout notre humour et tout notre amour, nous pourrons être plus puissants que ce petit homme et sa faction, et nous pourrons refaire du Lucanistan un pays où il fait bon vivre."

Ayant parlé, l'homme, qui était peut-être une femme, se tut. Chacun réfléchissait et se demandait : "est-ce que ça vaut le coup d'abandonner mon petit projet, ma petite recherche de l'image qui fera de moi un puissant, pour me consacrer à cette opposition, y mettre toutes mes forces, et me trouver peut-être par là une image et un corps vaillant capable de lutter, tout seul et avec les autres, avec le petit homme ?" Beaucoup se joignirent à l'homme, qui était peut-être une femme, et plus encore vinrent qui ne faisaient pas partie de la faction.

Ils s'organisèrent rapidement en petits groupes disséminés dans tout le pays, chargés de s'opposer par tous les moyens possibles, dans la limite de ce qui serait accepté dans le monde auquel ils souhaitaient donner naissance. Un formidable souffle libérateur se répandit sur le Lucanistan.

Certains dirent : "le petit homme veut que les familles des étrangers vivant au Lucanistan et se trouvant à l'étranger ne puissent venir chez nous qu'après un test génétique prouvant qu'elles sont bien de la même famille que ceux qu'elles rejoignent. Mais dans beaucoup de pays, la famille ne comporte pas forcément des liens qu'entre des personnes liées par le sang, sans parler des familles recomposées comme elles l'ont pu après des guerres ou des épidémies. Il faut absolument comprendre ces autres formes de faire famille, en plus une fois ici ce sera plus simple de le savoir pour s'occuper de ces familles s'il y a besoin."

D'autres dirent : "le petit homme veut empêcher l'accès facile et gratuit de tous aux musiques et aux films, il veut considérer ceux qui utilisent cet accès comme des délinquants et les punir sévèrement. Il se moque qu'ainsi les artistes puissent être connus davantage, il se sert du droit de propriété des artistes sur leurs oeuvres pour défendre uniquement les intérêts des producteurs, pas du tout des artistes. Mais les artistes n'ont pas à gagner des sommes faramineuses sous prétexte qu'ils créent. Il faut encourager la diffusion des oeuvres, comme la production et la création, mais d'oeuvres de qualité, et mettre des bâtons dans les roues des gros producteurs qui ne pensent qu'à s'enrichir."

Chaque colère trouvait les mots pour se formuler, et bientôt tous ces mots, toutes ces colères, nourrirent un gros flot qui renversa le petit homme et sa faction, et permit à la seconde faction de transformer le Lucanistan en un pays agréable et joyeux, où chacun avait plaisir à sortir de chez lui pour rencontrer les autres et n'avait plus le sentiment de vivre dans un cauchemar, d'être parcouru de haines ou de sentir devoir obéir au petit homme pour seulement continuer à vivre.

Et le petit homme fut chassé, traité de tyran méchant et prétentieux, plus attiré par le pouvoir et les richesses, et par les lueurs d'agonie dans les yeux de ceux qui pensaient devoir lui obéir pour mériter de vivre, que par le bonheur des lucanistes.

Les deux factions ne disparurent pas, simplement la différence changea de place. La première faction, défaite, se recomposa, incluant bien des membres de la seconde faction qui avaient renversé le petit homme.

Le Lucanistan est un pays qui n'a pas appris à se passer de dirigeants. Mais les lucanistes sont bons et parviennent toujours à renverser les tyrans. Fut-ce en s'oubliant eux-mêmes pour mettre toutes leurs forces dans leur opposition, et tirer d'elle leur nouvelle identité d'hommes libres et souverains.

Lucanistan

Il existe très loin d'ici, disons dans une autre dimension, un pays nommé le Lucanistan. C'est un joyeux pays dont la devise est une comptine enfantine : "Yellow Stars in Roses Garden / Purple Marguerite under Shining Sky".


Ce sont aussi les deux premiers vers de l'hymne national, que les enfants ont plaisir à chanter en sautillant dans la campagne, les dimanches après-midi, avec leurs parents qui, en ce jour de congé, se réunissent pour une promenade et un pique-nique loin des villes.

 
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