lundi 14 septembre 2009

La dialectique. Au sujet d'un vieux conte lucaniste

Je n'ai jamais compris ce que signifiait le mot "dialectique".

J'emploie le mot "schizo", sans trop connaître, pour dire trois choses.
Tantôt pour évoquer deux investissements sociaux, deux rôles, qui n'ont rien à voir l'un avec l'autre, qui sont même incompossibles.
Tantôt pour qualifier une ligne, par exemple un récit, qui traverse un ensemble constitué donné en s'accrochant à ses éléments qu'elle raccorde suivant sa propre perspective et qui, par sa vitesse et sa puissance d'assimilation, finit par être plus légitime que cet ensemble sur ses propres terres.
Tantôt encore pour nommer ce processus par lequel un être pour ainsi dire vide se raccroche tel un parasite à un autre être pour ainsi dire plein, et tire de lui la subsistance qu'il intègrera dans ses petits circuits pour les réchauffer et raviver leur mobilité. Cet être pour ainsi dire vide finit par avoir sa vie et ses productions propres, comme si l'autre être n'avait pas existé, mais assez cependant pour que l'individualité profonde de celui-là ne repose pas dans son essence mais dans son style.
Celui qui joue des rôles incompossibles, la ligne qui traverse un ensemble "en emmenant un coin de la nappe" (Deleuze) et cet être pour ainsi dire vide, sont, dans l'usage que je fais du mot, des "schizos".

Et... je crois bien que le dernier emploi qualifie exactement la dialectique, qui en dehors de cet exemple appliqué à l'enfant, à l'adolescent, au disciple, n'éveille en moi que des images d'une machinerie des temps modernes aussi sombre que bordélique, avec des fluides graisseux noirâtes coulant entre les pièces, des fumées de vapeur au fond, de vagues éclairages de lampes dans un angle tel qu'elles semblent placées en haut de miradors, le tout comme si nous étions au sein d'un ventre gargouillant, pour l'aspect organique qui nimbe tout l'espace... bref, une sorte de pataugeoire de bureaucratie soviétique prétentieuse et décadente, s'exprimant prioritairement, pour qui en est le petit maître, par des désorganisations intestinales.

Cette part obscure, pour moi, du mot, je persiste à ne la pas comprendre, "dialectique" étant du reste un terme que je n'emploie jamais. J'en garde la clarté de l'application que j'ai dite.
Ce n'est là qu'une introduction à un vieux conte lucaniste que les grands-mères du web racontent encore sur les forums à leurs petits-enfants virtuels.


Il y a fort longtemps, un homme aussi petit que méchant, malin et finalement puissant, avait mis le Lucanistan sous sa coupe.

Depuis plus longtemps encore, le pays était partagé en deux factions, qui se séparaient suivant une différence qui avait évolué. Au début, l'une existait parce que Dieu l'avait voulu et la protégeait, et était dirigée par le Roi, qui avait tout pouvoir sur l'autre faction, dont les membres mourraient sans laisser de trace. Puis la seconde faction tua le Roi et la première faction fût celle qui avait tout l'argent, et qui grâce à lui possédait les membres de la seconde faction, qui réussit toutefois à imposer des règles au sujet de l'argent. Et ainsi de suite.

Toujours la première faction dominait la seconde, et toujours la seconde parvenait à remettre en cause la première, mais sans arriver à faire disparaître la différence qui les opposait, et donc ce partage qui coupait le pays en deux jusque, parfois, dans de sanglantes guerres.

Le petit homme appartenait à la première faction, qu'il renouvela et dont il rassembla toutes les forces, et la fit passer pour celle des deux factions qui dominait naturellement, non seulement l'autre faction, mais le monde lui-même. Beaucoup le crurent, même des personnes appartenant à la seconde faction, mais à qui il plaisait de se reconnaître dans un personnage qui se faisait passer pour un héros.

C'était une époque où la différence entre les deux factions était indécise, très floue, certains disaient même qu'il n'y avait plus de différence entre les deux. Ceux de la seconde faction qui passaient dans la première se disaient : "je ne sais pas où est la différence, mais je me vais me mettre du côté de la première faction, au moins comme ça je ferai partie des puissants, et peut-être que la différence actuelle, si elle existe, me fait être du côté de la seconde faction, mais peut-être aussi que, quand la guerre commencera, elle aura bougé et m'incluera dans la première faction."

Ceux qui avaient peur rejoignaient la première faction, alors le petit homme leur fit peur. Ceux qui étaient riches rejoignaient la première faction, alors le petit homme flatta les riches. Et ainsi de suite pour toute la population lucaniste, à commencer par ceux qui pouvaient, par leur position, leur richesse, leurs activités, leurs savoirs, avoir un minimum de pouvoir. L'idée du petit homme était de réunir tout le monde de son côté, pour qu'il n'y ait dans la seconde faction que quelques personnes qui, incapables de se défendre, accepteraient docilement de se faire dominer, et ne pourraient surtout pas renverser l'autre faction comme cela s'est toujours fait. Et même, les très rares matins où il était d'une si bonne humeur qu'il aimait les gens et chantonnait en se rasant, le petit homme se disait devant sa glace qu'il pourrait inclure toute la population lucaniste dans sa faction, de telle sorte qu'il n'y ait plus de différence entre les deux factions et que le Lucanistan vive dans un bonheur éternel sous son règne éternel.

La seconde faction avait presque disparu. Ceux qui pouvaient se reconnaître en elle était éparpillés, ils ne parvenaient pas à s'entendre, et ses dirigeants pensaient et se comporter comme s'il dirigeaient le pays au lieu de se placer, comme les dirigeants de cette faction l'avaient toujours fait, dans la position du dominé pour mieux renverser le petit homme et sa faction.

Ces dirigeants essayaient de reconstruire leur faction, mais en ne s'appuyant sur rien, ce qui ne mena nulle part. Ils détestaient le petit homme, mais le détestaient tellement qu'ils ne voulaient même pas reconnaître sa domination présente, ils se disaient : "ou bien je le déteste et je ne veux rien avoir affaire avec lui et je dois construire ma faction en me moquant de ce que fait le petit homme, ou bien je reconnais sa domination et alors cela veut dire que je dois rejoindre sa faction". Certains de ces dirigeants optaient pour la première solution, d'autres pour la seconde.

Il passa beaucoup de temps, malheureusement, avant que certains dirigeants de la seconde faction ne pensent autrement. Entre temps le pays avait été appauvri, beaucoup de lucanistes étaient obéissants et se comportaient de telle façon qu'il auraient pu être flattés d'une petite tape derrière l'oreille par le petit homme, leur maître, et beaucoup de lucanistes avaient peur et restaient chez eux, d'autres sortaient dans la rue mais uniquement pour faire leurs courses et ils prenaient bien soin de mettre de la musique dans leurs oreilles et de la haine dans leurs yeux, d'autres encore déprimaient et entraient dans des sectes, et ainsi de suite. Seule une infime partie de la population profitait réellement du règne du petit homme, pour le reste la haine, la solitude, l'envie et l'égoïsme étaient des valeurs normales même si elles ne rendaient personne heureux.

Les dirigeants de la seconde faction commençaient enfin à penser autrement, et l'un d'eux leur dit alors : "chers camarades, cela ne peut plus durer. Nous cherchons l'idée, la raison, l'image, qui fera de notre faction une grande faction capable de régner sur le Lucanistan et de ramener la joie de tous, la souveraineté de chacun et la solidarité entre les lucanistes. Cela, le petit homme ne l'apporte pas du tout, bien au contraire. Et cette idée, cette raison, cette image, nous ne la trouverons pas, parce qu'elle n'a jamais existé : nous sommes avant tout une force, non, comme un Roi, institué par une idée, une raison ou une image. Laissons le petit homme se prendre pour un Roi, si cela lui chante. Mais nous, nous devons retrouver notre force. Et nous pouvons, nous devons la retrouver, en nous opposant à ce petit homme. C'est par l'opposition que nous nous constuirons. Chaque fois qu'il donnera une idée, nous en avancerons une autre en opposition à lui, chaque fois qu'il décidera une loi nous en proposerons une autre, et ainsi de suite. C'est vrai que lui et sa faction sont aujourd'hui puissants, mais demain, par notre opposition, en y mettant toutes nos forces, toute notre intelligence, tout notre humour et tout notre amour, nous pourrons être plus puissants que ce petit homme et sa faction, et nous pourrons refaire du Lucanistan un pays où il fait bon vivre."

Ayant parlé, l'homme, qui était peut-être une femme, se tut. Chacun réfléchissait et se demandait : "est-ce que ça vaut le coup d'abandonner mon petit projet, ma petite recherche de l'image qui fera de moi un puissant, pour me consacrer à cette opposition, y mettre toutes mes forces, et me trouver peut-être par là une image et un corps vaillant capable de lutter, tout seul et avec les autres, avec le petit homme ?" Beaucoup se joignirent à l'homme, qui était peut-être une femme, et plus encore vinrent qui ne faisaient pas partie de la faction.

Ils s'organisèrent rapidement en petits groupes disséminés dans tout le pays, chargés de s'opposer par tous les moyens possibles, dans la limite de ce qui serait accepté dans le monde auquel ils souhaitaient donner naissance. Un formidable souffle libérateur se répandit sur le Lucanistan.

Certains dirent : "le petit homme veut que les familles des étrangers vivant au Lucanistan et se trouvant à l'étranger ne puissent venir chez nous qu'après un test génétique prouvant qu'elles sont bien de la même famille que ceux qu'elles rejoignent. Mais dans beaucoup de pays, la famille ne comporte pas forcément des liens qu'entre des personnes liées par le sang, sans parler des familles recomposées comme elles l'ont pu après des guerres ou des épidémies. Il faut absolument comprendre ces autres formes de faire famille, en plus une fois ici ce sera plus simple de le savoir pour s'occuper de ces familles s'il y a besoin."

D'autres dirent : "le petit homme veut empêcher l'accès facile et gratuit de tous aux musiques et aux films, il veut considérer ceux qui utilisent cet accès comme des délinquants et les punir sévèrement. Il se moque qu'ainsi les artistes puissent être connus davantage, il se sert du droit de propriété des artistes sur leurs oeuvres pour défendre uniquement les intérêts des producteurs, pas du tout des artistes. Mais les artistes n'ont pas à gagner des sommes faramineuses sous prétexte qu'ils créent. Il faut encourager la diffusion des oeuvres, comme la production et la création, mais d'oeuvres de qualité, et mettre des bâtons dans les roues des gros producteurs qui ne pensent qu'à s'enrichir."

Chaque colère trouvait les mots pour se formuler, et bientôt tous ces mots, toutes ces colères, nourrirent un gros flot qui renversa le petit homme et sa faction, et permit à la seconde faction de transformer le Lucanistan en un pays agréable et joyeux, où chacun avait plaisir à sortir de chez lui pour rencontrer les autres et n'avait plus le sentiment de vivre dans un cauchemar, d'être parcouru de haines ou de sentir devoir obéir au petit homme pour seulement continuer à vivre.

Et le petit homme fut chassé, traité de tyran méchant et prétentieux, plus attiré par le pouvoir et les richesses, et par les lueurs d'agonie dans les yeux de ceux qui pensaient devoir lui obéir pour mériter de vivre, que par le bonheur des lucanistes.

Les deux factions ne disparurent pas, simplement la différence changea de place. La première faction, défaite, se recomposa, incluant bien des membres de la seconde faction qui avaient renversé le petit homme.

Le Lucanistan est un pays qui n'a pas appris à se passer de dirigeants. Mais les lucanistes sont bons et parviennent toujours à renverser les tyrans. Fut-ce en s'oubliant eux-mêmes pour mettre toutes leurs forces dans leur opposition, et tirer d'elle leur nouvelle identité d'hommes libres et souverains.

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