vendredi 18 septembre 2009

« ...ou bien évidemment clochard, ce qui est la moindre des choses... » (une lettre de Vladimir Å.)

Du sombre pays de France, un habitant nous envoie des nouvelles :


« Dans la ville telle qu’elle existe aujourd'hui, devrais-je dire dans le monde, je pense que je peux devenir fou et dangereux. Je vois bien des boîtes crâniennes explosées suite à une ultra-violence. Je pourrais devenir tueur, terroriste, prostitué, ou bien évidemment clochard, ce qui est la moindre des choses.

La violence est simplement l’expression du besoin et de la frustration, autrement d’une volonté barrée. Quand le manque d’intégration ne conduit pas, comme il le devrait, à l’exclusion ; quand le besoin non satisfait ne mène pas consécutivement à une faiblesse, puis à un mode d’être, adaptés. Quand nul dérivatif n’est trouvé, ou accepté, dans les cas où, comme l’urgence presse, la patience, l’attente et le retrait ne sont pas possibles.

Il ne s’agit même pas de besoins très recherchés, mais de simplement manger, habiter, se déplacer. Et s’inscrire dans un monde partagé avec les autres humains suivant nos compétences ; ainsi que nos désirs et ce qui nous attire. Autrement dit, des besoins primaires.

Le monde libéral dans lequel nous vivons amène à gommer certaines frontières, voire toutes les frontières. Ceci au profit d’un seul corps, d’une seule identité, insérée dans l’image. Et même sans cela, nos besoins les plus primaires et nos besoins les plus artificieux comme les plus métaphysiques sont indissolublement mêlés.

La richesse est au fondement de nos vies. Pourtant, nous demeurons très pauvres. Entre deux infinis nulle stabilité. Et sans cesse les portes comme les visages se ferment.

Sans même parler du théâtre libéral, qui ne veut jamais prendre en compte l’argent et le fait passer pour une donnée naturelle, ses conséquences surtout. C’est un théâtre dans lequel il faut avoir payé sa place, qui est justement celle du prix que l’on a payé. Du camp de concentration qui borne toute société libérale, celle-ci apparaît comme une eurocratie.

Je ne comprends pas que la prodigalité ne soit pas au fondement d’une société riche. Par exemple : chaque regard sur autrui n’a comme but que de le limiter, jusqu’à la caricature, négative si possible. L’accueil, la valorisation, l’épanouissement, la prodigalité, tout cela disparaît corps et bien derrière des masques cyniques et prétentieux qui pensent bien savoir, qui pensent ainsi être observés et hautement jugés, morgue protestante dopée au fun et à la haine humaine où chaque petite position de pouvoir , et même de simple visibilité, est celle de gardien du royaume de Dieu sur Terre.

Aucune preuve ne peut être apportée contre cette société parce que c’est son théâtre qu’il faudrait mettre en cause. Et c’est entrer en lui que de devenir clochard, prostitué, tueur ou terroriste. Chaque culture localisée dans le temps et dans l’espace, chaque société, prescrit les bonnes manières d’être fou, et ces formes en font partie. La folie marque une défaite intégrée, non une étrangéité.

L’humoriste dresse un théâtre dans le théâtre, rien qu’un miroir. Il s’estime chanceux d’être intégré lui qui est si près des bords. Ce aussi comme les artistes qui insolvables payaient leur place avec leur œuvre : sur la scène ceux qui ne peuvent pas payer ! (on aime à raconter aussi que les clients d’un restaurant qui ne peuvent pas payer sont envoyés en plonge).

J’ai mangé pendant ce temps deux filets de colin cuits avec une tomate et un oignon, un jus de citron, du curry vert et de l’eau, puis du lait de coco, sur du riz blanc. Deux assiettes et une bière. La satisfaction des besoins primaires rend possible une distance.

Je me borne à jouer le jeu, je ne vois pas comment faire autrement. Il est étrange que le bouquin de Selby Jr s’appelle Waintig period ; cet auteur est trop mental, ses personnages sont des images, aucun sang ne circule dans leurs veines. Quand le jeu ne permet plus à ses joueurs de jouer il attend d’eux qu’ils quittent la table, et parfois ils la renversent, ce qui fait encore partie du jeu. Certains fuient et « emmènent un coin de la nappe ».

Dans la ville telle qu’elle existe aujourd'hui, devrais-je dire dans le monde, je pense que je peux devenir fou et dangereux. Je vois bien des boîtes crâniennes explosées suite à une ultra-violence. Je pourrais devenir tueur, terroriste, prostitué, ou bien évidemment clochard, ce qui est la moindre des choses. Je pourrais aussi ne rien devenir du tout, juste tracer un sillon qui parte quelque part, plus loin. Dans le théâtre libéral il faut payer sa place ; ou traverser le spectacle. »

Vladimir Å.


Soyons heureux qu’il n’en aille pas ainsi chez nous, puisqu’au Lucanistan les choses sont trèèès différentes.

Déjà, tout le monde est intégré. Il n’y a pas, par exemple, une partie de la population qui, sous prétexte de stigmates particuliers, sont consacrées, ainsi que les sorciers chez les primitifs, à, comme le disait Simmel, la prostitution. D’ailleurs il n’y a pas de Simmel chez nous, pas besoin de sociologues, ces êtres nécessaires dans ces mondes lointains mais qui ne servent pourtant à rien, sans parler du sous-emploi dont ils font l’objet, sous prétexte, parfois par eux-mêmes avancé, que le conflit est normal dans une société.

Nous vivons d’amour et d’eau fraîche : nous ne rêvons pas de quelque lune lointaine puisque les regards de ceux qui nous entourent, connus ou inconnus, tracent une circularité où l’amour est palpable et l’eau fraîche coule des bouches.

Quant au « théâtre » dont ce lointain étranger nous fait part, nous n’en avons pas d’exemple. Cette idée nous amuse, exactement comme des enfants pourraient regarder des rats en cage, la cruauté et la méchanceté en moins : cela demeure un phénomène curieux. Nous ne nous arrêtons pas à cela, cette sorte de critère dont il est question et qui n’est pas l’apparence dont on nous a quelques fois parlé, ni exactement l’argent, mais une sorte d’image.

Il semble tout particulièrement troublant que les uns et les autres semblent pour ainsi dire croyants dans l’image, si on peut dire cela ainsi, des autres (que les uns voient ? que les autres dégagent ? nous ne comprenons pas bien ces mœurs étranges). Plus loin que cela, derrière cette croyance, il s’exprime un manque de confiance des uns envers les autres vraiment étrange, comme s’ils ne se connaissaient pas, comme s’ils partaient du principe qu’il fallait douter d’autrui. Quelque chose comme cela.

Peut-être est-ce ce qui transparaît dans le mot de « société » que l’auteur de la lettre emploie et qui ne figure pas dans notre vocabulaire ?

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